Un carnet en 2011

Randonnée

Peu avant midi, sur un banc adossé à salle des fêtes de Mieussy, alors que nous laçons nos chaussures de randonnée, deux cyclistes d'une soixantaine d'années reviennent de leur ballade matinale. Ils démontent leurs vélos, s'apprêtent à partir et nous fermons à notre tour la voiture, sac sur le dos. L'un d'eux nous demande si nous partons randonner et où. Une discussion souriante s'entame. Nous sortons le plan afin de montrer notre itinéraire de la journée. Les gars sont du coin, l'un des deux a l'accent vogiens marqué. Voyant notre plan ils nous indiquent alors des raccourcis et des passages plus intéressants que ceux que le plan indique. Nous prenons congé en les remerciant et partons en direction de l'église. A hauteur du monument, midi sonne gaiement, comme sonnent les cloches des petits villages ensoleillés pour les touristes de passage.

Le ton est immédiatement donné. La route bitumée derrière l'église est très pentue et le Soleil nous assomme brutalemment.

Entrée à l'ombre des feuillages. La marche continue maintenant sous les bois, presque jusqu'au sommet, entrecoupé de passages sous le Soleil. Nos vêtements sont déjà bien trempés.

Plus haut dans les bois, la pente s'accentue encore. Les pas deviennent plus lents. J'aime marcher sur l'humus. Le chemin est religieux ; des stèles marquent les stations de la passion du Christ. Je ne me souviens plus, je pense qu'il y en a 12 et ma compagne dit 14 ? Soudain, dans l'effort, connaître le chiffre devient important, histoire de savoir combien il nous en reste à passer !

Arrivé et halte près d'une grotte. La fraîcheur qui en émane fait vraiment du bien ! En revanche je n'aime pas du tout l'ambiance de cette chapelle et ces statues en pleine nature ; contrition et mortification alors que la nature qui nous entoure et l'air dans nos poumons ne parlent que de la beauté de l'été.

Plus haut encore, moins d'ombre, un passage plus escarpé, des cables tendus sur la roche pour nous aider, puis une vue enfin dégagée sur la vallée. En contrebas juste un point lumineux particulier dans le village, la voiture. Au-dessus de nous, des parapentistes. Nous le saurons plus tard mais nous avons gravi la pente en 1h20 là où nous pensions en avoir passé deux !

Arrivé en haut, plein soleil, nous cherchons une ombre. C'est celle d'une grande croix qui accueillera notre pause déjeuner. Décidemment, le religieux. Je compte jusqu'à 17 parapentes qui tournoient au-dessus de nous, certains sont proches car l'aire de décollage est juste à côté.

En repartant nous nous trompons de chemin. 30 minutes ajoutées à notre randonnée. Puis une descente avec peu d'intérêt dans la forêt, sur la route, jusqu'à la petite station de ski suivante. Le balisage n'est pas clair, nous tâtonnons pour trouver notre chemin.

Descente sur une pente plutôt raide et un sentier apparemment peu emprunté. De l'autre côté la route. En bas, franchisssement d'un pont en béton dans un mauvais état, débris métalliques rouillés. Du vent. Le passage devant nous est impressionnant et l'ambiance peu rassurante. Une longue portion sur les rochers, cables métalliques pour ne pas tomber à la presque verticale. Il faut franchir ce passage dangeureux sans tarder sinon la peur peut nous avoir. Plus loin, des morceaux métalliques tombés de la route qui nous surplombe, des tôles, une partie de carcasse de voiture et même des barrières de sécurité ! L'endroit n'est vraiment pas sain et inspire l'accident. Une espèce de petite vallée de la mort. Je n'en ai pas mené très large et en ai montré le contraire à ma compagne de crainte qu'elle ne se paralyse de peur, ce que nous avons quand même frôlé.

Le désert de caillasses passé, nous retrouvons les bois. Depuis que nous randonnons, c'est sans doute le passage le moins fréquenté et le plus en friche que nous ayons jamais emprunté. Peu rassurant.

Et puis une voie plus large, comme un passage emprunté autrefois, au début du siècle ou peut-être depuis le moyen-âge, par les bucherons et les habitants de la montagne. Les randonnées offrent souvent ce voyage dans le temps, qui nous permet de remettre nos pas dans celui des anciens, avec l'étrange sensation que le terrain n'a pas été touché et que nos contemporains ont construit ailleurs sans reprendre les anciennes voies.

Les bois s'ouvrent sur une clairière. Un homme monte une cloture autour du terrain près de sa fermette. Une fourche, des panneaux indiquent les itinéraires possibles, nous cherchons un instant notre chemin. L'homme, souriant, nous interpelle et demande où nous allons. Nous nous approchons de lui, entamons la conversation et je lui tends le plan. Il nous indique rapidement un meilleur chemin, plus court et plus sympathique. Et puis il nous propose de nous désalterer : un tuyau dans l'auge voisine où coule une eau potable, et fraiche ! "Ne prenez pas celle en contrebas, elle est pour les chevaux" nous précise t-il. J'aime cette gentillesse simple et cette disponibilité que l'on rencontre souvent en randonnant. Pourquoi de retour dans l'agitation des villes tout cela disparait-il ? Et tout ces bonjours que l'on s'échange, disparaissant dès que le nombre d'humain grandissant apporte l'indifférence et l'anonymat.

Il ne reste plus beaucoup de route. Le ciel se charge et l'orage prévu devrait tomber ce soir. Nous nous trompons de chemin à nouveau. Quelques pas de plus importent peu, nous avons déjà fait le plus dur.

Plus loin, nous passons devant la maison de l'homme qui nous a désaltéré plus haut. Il arrive justement en voiture et nous voyant, sort et vient vers nous en souriant. Ne nous ayant pas vu sur le chemin indiqué, il se doutait que nous nous étions trompés de route. Il redescend justement sur Mieussy et nous propose de nous y emmener, ce que nous refusons poliment : hors de questions de prendre une voiture à ce stade ! nous nous devons de terminer la randonnée à pied ! ne serait-ce que pour la beauté du geste ! Et de toute façon nous ne sommes pas à ce point fatigués.

Le ciel se charge lourdement. Dernière descente à travers de très grands paturages. Au milieu, un carré potager comme sorti de nulle part. Une femme cueille des haricots. Nous nous enfonçons dans un chemin bordé d'arbres et de deux talus, comme ceux d'autrefois à nouveau.

Puis le village. Une dernière erreur de parcours et nous arrivons au pont. Prendre du pain sur les quelques mètres qui nous restent avant la voiture. Les gouttes commencent à tomber et les éclairs dans le ciel.

Beaucoup plus loin sur le retour, un orage impressionnant nous force à arrêter la voiture sur le bas-côté. Des grellons gros comme de petites billes. Nous n'entendons plus rien dans l'habitacle. L'orage passé nous reprenons la route. Le bitume fume après ce choc thermique. Dernière image.