Hier, vendredi trois mars1, j’ai assisté aux échanges de Correcteur, un lecteur à part, 1re journée professionnelle autour de la lecture-correction en Pays de la Loire, dans le cadre du festival Atlantide. La demi-journée était organisée par Mobilis.

Ce billet est la restitution, plutôt brute, de mes notes et souvenirs à chaud. Les réflexions ou questionnements déclenchés lors de ce moment sont à lire plus bas.

Une captation sonore des échanges a été réalisée. Je la lierai ici lorsqu’elle sera diffusée sur le site de Mobilis d’ici une dizaine de jours a priori.


Introduction avec un court-métrage japonais (à lier si je le retrouve) très amusant sur une jeune correctrice arrivant au service de correction de sa nouvelle entreprise, au sous-sol.

14 h — Correcteur… toujours un métier !

Dans le métier, autrefois, existait le rôle de teneur de copie.

« Elle s’est faite faire une nouvelle robe » ou « Elle s’est fait faire une nouvelle robe » ? La seconde proposition est la bonne. Beaucoup de journalistes font la faute à longueur de journée.

Georges Simenon ne voulait pas que l’on corrige ses textes. Dix-huit points de suspension ? Où est le problème !? Son argument était qu’il voulait que son texte reflète le parlé (ça s’défend). Sur la fin de sa vie toutefois, il a accepté que l’on reprenne ses ouvrages et qu’on les corrige. Dans le genre d’erreur qu’il commettait, un personnage en début de livre pouvait, quelques pages plus loin, avoir changé de nom, de nombre d’enfants (à écrire un bouquin par semaine sans se relire, forcément…).

La formation FORMACOM aux métiers de correcteur a été reprise par l’école Estienne (en lien avec le GRETA si j’ai bien compris). Plus les mêmes financements, le prix de la formation est beaucoup plus cher désormais.

Le Canard enchaîné est très regardant sur la correction (aucune faute). Il est le seul journal à publier des pan sur le bec lorsqu’il commet des erreurs.

Le correcteur, autrement appelé par certains dictionnaire sur pattes ou, moins flatteur, père la virgule.

De la très grande importance pour le correcteur d’avoir une culture générale la plus vaste possible. Et douter, douter, douter, en permanence. Ne jamais faire confiance à l’auteur non plus (qui lui aussi peut faire des erreurs en toute bonne foi : une date, un nom, une orthographe, etc.)

Propos entendus dans les rédactions (sur la qualité d’expression, le vocabulaire, la syntaxe, la grammaire, [l’ortho-typo ?]) : « Le lectorat ne comprendra pas ». Constat navrant que le niveau général baisse.

1980-85 (je n’ai pas retenu le nom du journal cité par Jean-Pierre Colignon) les lettres de lecteurs pour signaler des erreurs étaient en chute libre. Soit les lecteurs s’en sont lassés, soit (plus probable ?) ils ne voyaient plus les fautes !

Très bon outil : le dictionnaire des synonymes de l’université de Caen (que j’utilise déjà).

Autre source citée dans le public : la Banque de dépannage linguistique.

Dans le public toujours, il y aurait environ 400 millions de francophones de par le monde ; il serait plus juste de dire 150 millions répond Jean-Pierre Colignon.

15 h — Un métier, des réalités / Paroles de professionnels

Notes communes avec les échanges suivants.

16 h 30 — La boite à outils / Les ressources

À l’instar de la Grande-Bretagne, le contrat zéro heure existe désormais chez nous : des contrats où l’employeur peut être en situation de ne pas avoir de travail à fournir au correcteur, auquel cas il n’est pas tenu de le payer. Une fiche de paie avec 0 €.

Le collectif Correcteurs précaires. dont certain(e)s représentant(e)s dans l’assistance.

Correcteur, une discipline scientifique pour Romain Allais dont la formation initiale est précisément scientifique (paléo-anthropologie).

« Une correction doit se faire sur des preuves, pas sur des certitudes. »

« Le texte n’est qu’un prêt » (du respect du texte, de l’auteur).

Correcteur : douter de soi et des autres.

Réseau(tage)

  • Groupe Correcteur un métier sur Linked-in ;
  • Paris, le Rendez-vous des typotes ;
  • Réseau La fontaine aux livres ;
  • La charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, un référence.

Le travail crée du lien (social, etc.), la réciproque aussi, le lien crèe du travail (propos d’Étienne Diemert).

À propos des outils

InCopy, une extension inDesign pour travailler plus efficacement en correction.

Un correcteur dans l’assistance parle d’une macro pour OpenOffice (et Libre Office aussi j’imagine ?) qui lui fait gagner 3 h de travail, à coup de Regex. Publiée récemment sur la liste Typographie. À retrouver, et à voir comment elle pourrait être utilisée sur des epub par exemple ?

18 h — Rencontre avec Martine Rousseau, animée par Bernard Bretonnière

Moment ludique avec un faux-air d’entretien à la Raphaël Mezhrahi.

« Des remèdes de cheval ou de chevaux ? » De cheval bien sûr.

« S’intéresser à la correction, être correcteur, est-ce être puriste ? réactionnaire ? » Réponse de Martine : « Non. En quoi s’intéresser à une langue riche telle que le français serait-il réactionnaire ou signe de purisme ? »

Cela dit, ceci dit : cela réfère au passé, ceci au futur, l’expression ceci dit est donc fautive (bien qu’elle soit employée, mais qui connaît encore son origine ?).

Julien Gracq. Les éditions Corti n’ont jamais corrigé les fautes présentes dans La forme d’une ville, malgré ré-éditions. Entre autres erreurs citées : René-Guy Cadou au lieu de René Guy Cadou (ce dernier lui-même tenant à ce qu’on distigue les deux prénoms portés qui ne forment pas un prénom composé), st Nazaire au lieu de Saint-Nazaire, st Florent-le-Vieil au lieu de Saint-Florent-le-Vieil (St plutôt que st et oubli du tiret composant le nom des villes).

Ces fautes ont toutefois été corrigées dans l’édition de la Pléiade (sauf René-Guy Cadou apparemment qui s’y trouve toujours).

À propos de cet ouvrage, indisponible en numérique, j’avais autrefois entamé sa numérisation (qu’il me reste à achever) pour en disposer sur liseuse et l’outil numérique m’avait permis de relever-corriger certaines fautes déjà. J’intégrerai celles précédemment citées.

Réflexions

Une assistance majoritairement composée de femmes (au pifomètre je dirais un bon 70 %). Le métier de correcteur est-il un métier de correctrice ? Si oui pourquoi ? Côté intervenants, deux femmes (une troisième prévue n’a pas pu venir) et six hommes.

Un moment enrichissant. Se décaler légèrement de son activité professionnelle, prendre un peu de distance permet de mieux cerner ses propres qualités, connaissances, de mieux percevoir sa propre expérience, ce que l’on fait au quotidien, la tête dans le guidon bien souvent. Cela permet aussi de comparer, voir les similarités et les différences.

Le statut d’auto-entrepreneur (indépendant donc) subit (parce que quasi imposé par les éditeurs) plutôt que choisi de la part des correcteurs se ressent dans les échanges : la majorité parlait des éditeurs en tant qu’employeur et non clients. Rapport salarié-employeur ou indépendant-client, mais le croisement des deux n’existe pas.

Les tarifs de 5 € de l’heure ou de 1200 € mensuels (pour des auto-entrepreneurs je présume, en plus ?) en regard des compétences et connaissances requises par le métier, font frémir (dans le mauvais sens). C’est à peine plus que ce qu’on paye un vendeur en librairie (doit-on dire libraire ?), remarquez (à qui, eux aussi, on demande d’être lecteurs assidus pour bien connaître leur rayon). Au moins ces derniers sont-ils encore salariés.

Les principaux acteurs cités étaient les éditeurs et la presse, l’univers de l’imprimé donc. Impression que le texte destiné au support numérique est encore bien loin des propos (est-il absent ? est-il moins noble ?).

Une intervention dans le public sur la quantité très importante des écrits aujourd’hui, à l’heure du web et du numérique. Une incompréhension malheureuse du medium, mélangeant blogs, piratage et piètre qualité qui pourrait aller de pair. C’est oublier un exemple comme la sortie numérique pirate du prix Goncourt 2011 (l’Art français de la guerre)… corrigée par la Team Alexandriz, et de meilleure facture que ce qu’avait sorti Gallimard. La démocratisation des moyens de publication ouvre certainement sur une baisse de qualité (tout le monde dispose d’un ordinateur, d’un appareil photo pour ce qui concerne le domaine voisin de l’image) et en même temps, de fantastiques découvertes grâce au court-circuitage, impossible autrefois, des grands acteurs verrouillant un système.

Beaucoup d’interrogations personnelles sur le flux de travail des correcteurs (je n’ai pas osé intervenir, la troisième session d’échanges est peut-être passé à côté du sujet de l’intitulé). En est-on encore au crayon-papier ? Les correcteurs utilisent-ils MS-Word ou Open/LibreOffice.org et les systèmes de versions de fichiers ? Comment échangent-ils autant de détails épars sur les textes avec les éditeurs et les auteurs ? Certains parlent de correction dans inDesign, au plus près de la forme imprimée définitive. Le texte n’est-il donc pas (encore ?) abstrait de sa forme ? Cela me fait fortement penser (en tant que professionnel du web) à nos workflow évidemment (comment emmener une idée jusqu’à l’internaute, du wireframe en passant par la maquette, le prototype, l’aller-retour avec les clients, les changements en cours de route, la maintenance de l’objet réalisé…), ainsi qu’au sujet de la rédaction WYSIWYG. Aujourd’hui, un livre peut très bien avoir sa version imprimée ainsi que sa version numérique epub, ce qui oblige la séparation fond/forme. Je pense très fortement au flux de travail tout récemment présenté par Thierry Crouzet (Petite leçon de P.A.O. pour éditeurs et auteurs), pour qui la source des textes est en Markdown. Je pense au travail que mène Jiminy Panoz sur le flux de travail du livre numérique aussi. Toutefois, Markdown reste insuffisant à mon sens pour baliser du texte et il faut rapidement faire appel à H.T.M.L. comme béquille (une simple mise en indice/exposant n’existe pas en MD, et j’en passe).

Est-il envisageable d’avoir la source originelle en Markdown et pouvoir travailler avec un masque de travail pour la correction (dans Word, LibreOffice, autre ?), puis visualiser l’ouvrage avec un autre masque version imprimée, un autre version epub, version P.D.F., ou que sais-je encore ?

Tiens, du coup j’ouvre mon exemplaire de La forme d’une ville et je tombe page 29 sur « lycée Henri IV » au lieu de « lycée Henri-IV », page 127 sur « le nouveau pont Anne de Bretagne », plutôt que « le nouveau pont Anne-de-Bretagne », et plusieurs autres facilement repérables. J’intégrerai ces corrections dans ma version personnelle numérisée, Bon exercice pour apprendre les Regex et savoir comment appréhender un texte long.


J’ai assurément fait de nombreuses fautes dans ce texte, c’est ennuyeux de ne pas les voir. J’avoue ne pas m’être relu cinquante fois non plus. Donne envie d’en connaître davantage pour les éviter. De façon générale pour la qualité de ce que j’écris, et pour ma culture-formation personnelle, je serais ravi que vous me les pointiez.


  1. Accompagné de Vincent Valentin, qui me doit la référence d’un bouquin que Martine Rousseau a cité, et que nous n’avons pas entendu, parce qu’il a préféré détourner mon attention auditive pile au mauvais moment. Ah bravo !