L’été dernier, chaque jour sur le chemin du travail, je passais à vélo devant un camp de 455 migrants qui, expulsés de logements ailleurs étaient venus échouer dans un square du centre-ville. Ils disposaient d’un seul sanitaire (et encore !) et d’un seul robinet (que la ville avait jugé intelligent de couper à un moment, avant de le remettre en marche). À une centaine de mètres de là, dans le cadre du Voyage à Nantes, la fontaine Royale était artistiquement détournée. Volontairement déréglée, elle arrosait à grandes eaux le pavé et les passants qui n’y prenaient pas garde. Nombreux, dont je faisais partie, étaient ceux que tout cela choquait.

En regard, ce qui suit est très relatif… mais quand même.


Savez-vous combien de litres d’eau vous utilisez pendant votre douche ? Quel est le débit par minute de votre douche ? Pouvez-vous me donner le prix du mètre cube d’eau par chez vous actuellement ? Avez-vous un économiseur d’eau / régulateur de débit ? Combien de douches prenez-vous par semaine et combien de temps restez-vous dessous ? Et la température, froide ? chaude ? très chaude ? (mes propres réponses à la fin de ce billet.)


Il y a de nombreuses années, entre 2000 et 2005, je m’étais amusé à boucher la baignoire, prendre ma douche, puis écoper pour mesurer combien j’avais consommé d’eau. C’était il y a tellement longtemps que j’ai oublié combien de litres j’avais compté.

Il y a plusieurs semaines, nous avons fait des travaux de rénovation (le terme est faible) de notre salle de bain. Pendant presque deux semaines nous n’avons plus eu de lieu consacré pour nous laver (trois personnes, dont un jeune enfant). Nos voisins, sympathiques, nous ont bien proposé de venir nous laver chez eux, et je dispose également d’une douche au bureau (auquel je vais à vélo), mais finalement nous n’en avons pas eu besoin. Nous avons utilisé le seul point d’eau accessible : celui de la cuisine.

Et là, force fut d’y aller à l’économie : hors de question de répandre de l’eau sur le carrelage et de transformer la cuisine en pataugeoire ! Retour aux pratiques anciennes : l’évier, une petite bassine d’1 litre1, un gant de toilette et du savon de type « Marseille » (nous n’en utilisons du reste pas d’autre). Au sol une descente de bain et une serpillière. La tête dans l’évier pour le shampoing.

Un des tableaux de baigneuse au tub d’Edgar Degas.

Au bout de trois jours nous avions pris nos repères. Le plus stressant était de tout faire avant l’arrivée de l’artisan, sauf le dimanche ou, avec quelques rayons de soleil, je me suis mis dans l’herbe du jardin pour me laver avec plus d’aise et le plaisir d’être dehors, façon camping.

Au final, le changement de pratique n’était pas bien compliqué et soulevait même une question : « nous avons donc une pièce dédiée à cette simple activité dans la maison, ç’en est presque de l’espace perdu non ? »2

Mais pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça, donc ?

La salle de bain remise à neuf, j’ai eu du mal à réutiliser autant d’eau qu’avant cette expérience, qui m’avait montré qu’on pouvait faire aussi bien avec drastiquement moins.

Il y a quelques jours, j’ai rebouché la baignoire, pris une douche économique et refait le compte en écopant : entre 5 et 6 litres. Hier, j’ai optimisé l’affaire et suis arrivé à 3-4 litres. Aujourd’hui j’en suis autour de 3 et plutôt 4 si j’inclus l’eau utilisée pour rincer la douche. J’ai des cheveux très courts, ça aide aussi.

Aparté : en moyenne une douche consomme entre 30 et 60 litres (source ADEME).

Pour en arriver là, j’ai eu une idée : ne plus utiliser la douche pour mouiller la peau (ni le gant de toilette, que j’ai vite abandonné, peu idéal hygiéniquement parlant, bien que pratique pour l’eau qu’il peut contenir). J’ai essayé d’utiliser un vaporisateur ! Difficile de faire plus économique (et pas besoin d’eau chaude. L’eau froide vaporisée sur le corps ne donne pas de sensations vraiment froides). La principale consommation reste alors l’eau de rinçage qu’il est assez difficile de diminuer, malgré le (double) régulateur de débit dont je dispose.

Bon, le vaporisateur n’était pas forcément facile à manier lorsqu’on retourne le pistolet vers soi, et pour la prochaine fois j’ai une idée bien plus drôle : le pistolet à eau de mon enfant !

Alors que conclure de ces expériences amusantes ?

  • Le changement d’habitude est évident. Il ne s’agit même plus de simplement couper l’eau entre savonnage et rinçage mais de tenter l’économie la plus forte ;
  • C’est aussi efficace, je me sens tout aussi propre ;
  • Je consomme évidemment moins d’eau, mais aussi moins d’énergie pour la chauffer (ces derniers temps, canicule oblige, je suis plutôt douche totalement froide) ;
  • J’ai beaucoup moins d’humidité dans la pièce (bien aérée de toute façon) ;
  • D’aucun diront que ce genre de douche devient purement utilitaire et moins confortable, moins plaisante. Je ne vois plus de plaisir à laisser filer de l’eau potable juste pour mon petit confort, donc non, ce n’est absolument pas une question pour moi. Pour le plaisir je vais à la piscine ou dans l’Océan quand l’occasion se présente.
  • C’est un peu plus dur en cette période caniculaire, mais je prends également moins de douches lorsque possible, une toilette à l’évier suffit une fois sur deux hors jours chauds. C’est autant de douches économisées.

N’allez pas croire que je pense que ce genre de pratique individuelle, même rapportée à la population française, voire mondiale, permettra de « sauver la planète ». Je sais pertinemment que non. Je connais certaines entreprises qui consomment en une journée l’équivalent de la consommation mensuelle de la population de la commune sur laquelle elles sont implantées. La cour n’est pas du tout la même.

Mais en aucun cas je ne pourrais me défausser de ma propre consommation au prétexte que le voisin ou l’industriel du coin fait pire et qu’en regard ma consommation deviendrait alors anecdotique. Ce serait comparer des pommes avec des carottes et détournerait du sujet : qu’est-ce que je peux faire à mon échelle ? (pas celle de l’industriel), quelle attitude je peux développer ?

Du reste, à l’échelle individuelle j’estime que ce genre d’action est positive, bénéfique, pour le mode de vie et l’attitude qu’elle désigne, la conscience du sujet, pour le respect de la ressource (combien d’êtres vivants, tous règnes confondus, peut-on hydrater avec l’économie réalisée ? à commencer par soi-même).

J’ai très conscience que je suis privilégié et que j’ai les moyens intellectuels, sociaux et financiers de faire et vous raconter tout ça.

Pour terminer, une petite citation de Pierre Rabhi, nommant Nicolas Hulot. Oui, je sais, certains d’entre-vous voient ces personnes d’un mauvais œil. Il n’empêche que certains de leurs propos sonnent juste :

Récemment, lors d’une conférence à l’Unesco avec Nicolas Hulot, on m’a demandé : « Maintenant, je vais rentrer chez moi, qu’est-ce que je peux faire !? » Certains s’attendaient peut-être à : « Fermez le robinet, éteignez la lumière… »

Nous n’en sommes plus là. Il est vrai que c’est en initiant les plus petites actions que l’on amorce de grands changements. Le minimum n’est jamais méprisable. Mais attention à l’illusion : on peut manger bio, recycler son eau, se chauffer à l’énergie solaire et… exploiter son prochain. […]

Pierre Rabhi, Fermer le robinet.

Mes réponses au questionnaire du début

Savez-vous combien de litres d’eau vous utilisez pendant votre douche ?
Actuellement 3 à 6 litres (rinçage douche compris) si vous avez lu ce qui précède.
Quel est le débit par minute de votre douche ?
Ma robinetterie dispose d’un limiteur de débit que je mesure à 6,5 litres par minute. J’ai changé le pommeau pour un qui limite à son tour le débit. En position ouverte celui-ci laisse passer légèrement moins de 6 litres (5,9 mesurés, donc 600 ml de moins qu’au robinet). En position fermée il limite à 4 litres (4,100 mesurés).
Pouvez-vous me donner le prix du mètre cube d’eau par chez vous actuellement ?
Sur les 2 derniers trimestres, 3,9 € tout compris. En admettant que je prenne des douches de 5 litres, 1 mètre cube permet 200 douches à 2 ¢ l’unité. Du reste, entre les 2 trimestres, le prix a sensiblement augmenté.
Avez-vous un économiseur d’eau / régulateur de débit ?
Oui, deux même, voir question 2.
Combien de douches prenez-vous par semaine et combien de temps restez-vous dessous ?
7 par semaine en ce moment (chaleur, vélotaf). Je n’ai pas mesuré le temps mais moins qu’avant avec cette façon de faire.
Et la température, froide ? chaude ? très chaude ?
Le plus froid possible. Sinon je ne dépasse plus le cran 38 °C que m’indique le robinet thermostatique.

  1. j’ai toujours rêvé d’avoir un tub un jour, référence à Edgar Degas mais aussi à Willy Ronis et son célèbre nu provençal, représentant sa femme dans un moment d’intimité sincère et non mis en scène.

  2. Et de me rappeler certains logements (clapiers plutôt) parisiens connus autrefois, sous les toits, où tout une vie d’intérieur est compressé en une poignée de mètres carrés et ou l’art de se laver en encore plus compliqué. Du reste, l’invention de la salle de bain est assez récente dans l’histoire, tout comme celle de la chambre à coucher pour les enfants.