Le Pavillon

Un repas entre amis. Une vieille demeure, cadeau d'un armateur à sa maitresse, fin XIXe – du moins est-ce ce qui se raconte –, Storytelling. Le plancher des appartements de style néo-Louis XIII craque dans une ambiance feutrée tandis que dans nos verres coule une autre histoire, celle d'une vigne posée sur une veine de granite au sud de la Loire.

Le Pavillon

Dans quel réel sommes-nous ? Aujourd'hui les champs ont disparus et la demeure se trouve flanquée de concessions automobile. Le lieu-dit ne dit plus rien, il est devenu une zone. Que cherchent à faire ce vigneron et ce chef cuisinier ce soir, sinon nous raconter leurs souvenirs ?

À moins qu'ils ne soient que les passeurs inconscients d'une mémoire qui les traverse. À quelle distance suis-je de l'instant présent, et ces histoires m'en éloignent-elles ou ne sont-elles là au contraire que pour m'approcher d'une certaine vérité ?

Un texte, l'objet photographique, résonne en moi depuis quelques temps. Il y est question de distance vis-à-vis du réel, de tension entre le réel représenté et celui de l'objet qui le figure : l'image. Depuis cette lecture, je ne cesse de mesurer cette distance dans les photos que je sonde et celles que je prends. Les bonnes images ne sont pas celles qui montrent le réel au premier degré mais celles qui réussissent à le mettre à distance.

Le Pavillon

L'article donne trois illustrations du propos et je me plais à en dénombrer d'autres encore :

  1. les traitements façon Instagram sont sans doute les plus flagrants (les images de mon billet sont en l'occurrence passées aux filtres de Pixlr-o-matic) ;
  2. les multiples variations de tirages noir & blanc, tels ceux du manifique Far East de Siegfried que je viens d'emprunter, ou ceux de Paris Journal de Depardon (que j'emprunte pour la 4 ou 5e fois ! ce bouquin me fascine), ou encore ceux de Jean-Lou Sieff dans Demain le temps sera plus vieux, et puis quasiment tous les noirs & blancs bien fichus à vrai dire !
  3. le choix d'une focale grand-angle extrême, voire d'un fish-eye, et la netteté absolue que cela génère ;
  4. la faible profondeur de champ, le flou (la mode préfère le mot bokeh, moi je déteste ce mot à la sonorité sans rapport avec ce qu'il désigne. Flou. Prononcez lentement ce mot.)