Samedi matin, une boulangerie de village, face à l’église. Je suis en ville pourtant, mais ce coin de Nantes a gardé une partie de son identité, du temps où il était une commune indépendante.

Je stationne mon vélo comme lorsque j’étais enfant : les roues dans le caniveau, la pédale posée sur le trottoir, juste devant la porte de la boulangerie.

Une femme devant moi, un manteau sombre, des lunettes, des traits un peu secs. Elle doit avoir entre cinquante et soixante ans, modeste il me semble. Une enfant l’accompagne — huit-dix ans — qui choisi des bonbons.

Du pain, une fouace, un gâteau, quelques bonbons et le journal (Presse O’ je crois), le tout pour une somme de 18 euros et quelques centimes.

« Paiement sans contact ? » propose la boulangère. « Oh non, avec le code s’il vous plaît » répond t-elle. « Avec tout ce qu’on voit à la télé… je préfère ! ».

Il n’y a personne d’autre qu’elle, sa fille, la boulangère et moi. De quoi cette personne a t-elle bien peur ? Qu’a t-elle vu à la télé ? Sûrement une de ces émissions à sensations visant à effrayer les braves gens. La boulangère tente de lui dire qu’on ne peut pas débiter au-delà d’une certaine somme, mais la femme , refermant son porte-monnaie, ne l’entend pas.

J’utilise le paiement sans contact, je sais qu’il présente des failles, je sais que les cartes sont accessibles bien au-delà de 5 cm de distance, je sais qu’avec un étui métallique (sorte de cage de Faraday) elles sont protégées (pour autant mon banquier semble l’ignorer et ne m’a pas fourni un tel étui).

Mais ce qui m’interpelle c’est la crainte de cette femme : avec ou sans contact, le paiement était le même et sa carte restait tout aussi vulnérable. Elle ignore ce dont elle se méfie, c’est là l’inquiétant.

Billet écrit en repensant au ''Journal extime'' de Michel Tournier.